Les origines
D’où vient notre langue ? En grande partie du latin populaire, parlé en Gaule depuis la conquête romaine (52 avant Jésus-Christ). Nous avons aussi un fonds celtique, avec des mots surtout champêtres, comme alouette, arpent, des noms de lieu. En même temps, on a pu dire que c’était “ la plus germanique des langues romanes ”, du fait de l’influence des peuples germaniques, qui durant des siècles ont occupé le Nord du pays.
IVe-XIIe siècles – Le “roman ” et l’ancien français
Il y a d’abord une période dite gallo-romane (du IVe au VIIIe siècle environ) puis romane (IXe-XIe siècles), avec une langue et une culture fondamentalement liées aux traditions latines, très fortes dans le Sud. Les premiers textes en “ roman” (nom donné alors à notre langue) sont rares (Serments de Strasbourg, signé en 842, premier acte officiel écrit du français).À partir des XIe-XIIe siècles, c’est une période dite gothique, avec influence des pays du Nord et surtout de l’Angleterre, qui occupe une bonne partie de la France jusqu’à la fin de la Guerre de Cent ans. C’est la période anglo-normande, avec des écritures à jambages compliqués qui rappelle l’art des cathédrales.Il n’y a pas au Moyen-Âge une langue mais des langues parlées, non pas un français, mais des français, avec une grande liberté de structures et de tournures. De plus, on parle roman, mais on écrit latin.
XIVe – XVe siècles – Le moyen français
À partir de la fin du XIIIe siècle, la “langue du roi ”est mieux reconnue et devient une langue de prestige. Mais la France reste un pays bilingue.Aux XIVe-XVe siècles, c’est la période des humanistes : sous l’influence de la Renaissance italienne, on assiste par rapport au latin à un renouvellement et un développement considérable du français. Sous l’effet de bouleversements majeurs (Guerre de Cent ans) et aussi d’évolutions internes, cette langue se transforme rapidement. Proche à l’origine de ses soeurs latines, italien et espagnol, elle s’en éloigne, devient plus savante. Son écriture garde les lettres muettes de l’époque précédente, qui ne sont plus prononcées. Les anciennes déclinaisons disparaissent, l’ordre des mots change, la cort li roi devient la cour du roi, Dieu, en cui nom, devient Dieu, au nom de qui.
Le vocabulaire s’enrichit avec des formes venues directement du latin, comme indubitable, rotule, captif, etc. (à côté de doute, rouelle, chétif…). Il présente depuis, jusqu’à nos jours, ce double caractère à la fois populaire et savant que l’on retrouve dans l’ensemble de notre langue. Le vieux fonds latin et germanique a été à plusieurs reprises renouvelé par des emprunts, des remaniements et des doublets. C’est avant tout par la traduction à partir du latin que se répandent les ouvrages en langue française nécessaires au développement de la nouvelle culture.XVIe siècle – La Renaissance
Avec l’invention de l’imprimerie, et surtout à partir de la Renaissance, la question de la fixation de la “ langue du roi” se pose encore plus fortement. Il faut écrire les lois, traduire la Bible, et les partisans du protestantisme, souvent des artisans et des gens des villes, vont faire beaucoup à cet égard.Les interventions royales bannissent le latin en faveur du français dans les arrêts de justice : ordonnances successives de 1490, 1510, et enfin de 1539, avec le célèbre édit de Villers-Cotterêts, qui entérine en bonne part une situation déjà existante. C’est aussi l’âge d’or des grands dictionnaires avec le Dictionnaire françoislatin de R. Estienne, 1539 et 1540, le Thrésor de la langue française de Nicot, 1606, etc.La Renaissance est de loin l’époque qui a connu la plus grande richesse lexicale, due aux emprunts au latin et surtout à l’italien (près de 1000 mots). On publie des Arts poétiques, des grammaires. On prend la défense du français contre les langues anciennes (Deffence et illustration de la langue françoyse, 1549, de Joachim du Bellay). Ronsard et la Pléiade prennent la tête d’une vaste campagne en faveur du renouvellement de la langue et surtout de l’orthographe, et ils connaissent le plus grand succès.
XVIIe siècle – Le français classique
Au XVIIe siècle, les questions de langage passionnent non seulement la Cour et la “Ville” (de Paris), mais de larges couches provinciales. Faut-il dire sarpe ou serpe, doleur ou douleur ? On blâme des tournures comme je le vous porterai demain [pour je vous le porterai], ou je ne le veux pas faire [pour je ne veux pas le faire].Richelieu crée l’imprimerie royale (1640) et surtout l’Académie française (1635), chargée de faire un dictionnaire (lequel paraitra seulement en 1694) et de prendre soin de la langue.Vers 1650 se forme dans les salons une intense vie mondaine, Mme de Rambouillet et les “Précieuses ”veulent être des“femmes savantes”. Elles introduisent des façons de parler en partie ridicules, mais d’autres légitimes et qui nous sont restées. Elles veulent faire la loi, y compris sur le terrain de l’orthographe (Dictionnaire des Précieuses). Elles demandent une écriture simple, car elles ne connaissent pas le latin.Avec le règne personnel de Louis XIV se fait jour une nouvelle ” Renaissance ” des lettres, des arts, de l’imprimerie française, et la langue en bénéficie. Les premiers dictionnaires entièrement français de Richelet 1680, Furetière 1690, Académie 1694 contribuent à répandre le ” beau langage “.Cependant, la variété des parlers est loin d’être morte. Ainsi, Racine, arrivant à Uzès, se met à parler italien ou espagnol pour mieux se faire comprendre (Lettre à La Fontaine).
XVIIIe siècle – Le ” Siècle des Lumières “
À la période suivante, l’enseignement du français se développe. À côté d’une certaine préciosité des milieux mondains, apparait avec l’extension de la presse une prose nerveuse et incisive, qui s’affirmera chez les Philosophes et surtout dans l’Encyclopédie.
L’Académie, elle aussi, innovera constamment au XVIIIe siècle. Elle modifie plusieurs milliers de mots dans ses éditions de 1740, 1762 et 1798, abandonnant “l’ancienne orthographe ”et mettant en place celle qui est devenue la nôtre. Elle supprime les consonnes muettes du type bled/blé, crud/cru, apprentif/apprenti, verrouil/verrou, fruict/fruit, et tous les s muets internes qui servaient à noter les différentes voyelles. Elle met en place pour les remplacer un système complet d’accentuation, accents aigus, graves et circonflexes.Le français est devenu une grande langue diplomatique internationale, parlée dans toutes les cours des rois et les ambassades. Voltaire est invité chez Frédéric II de Prusse, Diderot à Saint-Pétersbourg par la grande Catherine de Russie. On prend conscience du prestige ainsi acquis, ce qui ne manque pas d’amener un certain sentiment de supériorité. Ainsi, en 1784, le prix de l’Académie de Berlin est donné à Rivarol pour son Discours sur l’universalité de la langue française, où il soutient la thèse d’une perfection de forme propre à la langue française, grâce à sa clarté et sa rationalité.Révolution, Empire, XIXe siècle – Le français moderne
Vers la fin du siècle vient l’époque agitée de la Révolution. Sur le plan du vocabulaire, des mots comme gabelle, dîme, sénéchaussée, bailliage, vont disparaître et faire place à de nouveaux termes, politiques, sociaux, institutionnels.On abolit les noms de titres (prince, sire, duc, et même Monsieur, remplacé par Citoyen). On instaure le tutoiement public. La syntaxe évolue également. Mais à la Révolution, une grande partie de la population sur l’ensemble du territoire comprend le français mais ne l’écrit pas et un habitant sur quatre, surtout dans les campagnes, ne parle que le patois ou la langue régionale.
Au début, tous les textes publics sont traduits dans les diverses provinces. Puis un retournement se fait, et la politique de la langue devient plus centralisatrice (Rapports de Barrère et de Grégoire, 1794). Les émigrés français maintiennent au dehors des usages désuets, créant ainsi une coupure avec l’évolution interne (on prononce à l’étranger j’avoes pour j’avois, j’avais en France).Sous l’Empire, il y aura dans les lycées un retour au latin, avec un grand développement des sciences et des mathématiques. L’Académie est restaurée dans tous ses droits par Louis XVIII en 1816, et publie une édition nouvelle de son dictionnaire en 1835, une autre en 1878, avec des modifications non négligeables. Le français se dote de l’armature nécessaire aux nouveaux impératifs d’une éducation étendue (lois Guizot, 1832-34). Les dictionnaires se font de plus en plus gros : P. Larousse, Grand dictionnaire universel en 17 vol., 1865, puis le Dictionnaire de la langue française de Littré, 1872.Sous Louis-Philippe, à côté des mots du romantisme, les sciences et les inventions répandent aussi dans l’usage des systèmes entiers de nouvelles nomenclatures, postes, chemin de fer, navigation à vapeur, télégraphe, etc.Sous le second Empire, c’est le monde de la presse, des affaires, de la publicité qui multiplie les néologismes et les termes de vulgarisation scientifique. Les anglicismes pénètrent dans les domaines de la mode, de la politique et des sports. La langue populaire et l’argot commencent à avoir droit de cité en littérature (Chanson des Gueux de Richepin, 1876). Les lois de Jules Ferry sur l’Enseignement obligatoire (1882-1885) donnent à l’État des obligations considérables, celles d’apprendre à lire et à écrire le français à l’ensemble de la population.XXe siècle – Le français contemporain
Les progrès de l’instruction publique ont pour effet une meilleure connaissance générale de la langue, et l’évolution de la société fait que chaque citoyen a besoin de bien la maîtriser pour défendre et exercer ses droits dans la vie quotidienne. Les questions linguistiques prennent ainsi une importance accrue.Ces derniers temps, la langue orale semble reprendre plus que jamais sa marche en avant. Les troncations de mots se multiplient, métro, Vél d’hiv, Caf conç’, accu, ciné (d’où cinéaste). Les mots s’usent vite : J3 a fait place à hippy, épatant, mini-, maxi-, font place à sensas ‘, formid ‘ ; elle est belle devient elle est ” trop “, etc. Le domaine des dictionnaires s’enrichit sans cesse. Les médias diffusent en permanence dans le public de nouveaux vocabulaires (sport, cinéma, économie, sciences). Mais, inversement, leur influence a tendance à unifier et à normaliser les différentes façons de parler.On assiste ainsi à la fois, paradoxalement, à une dépendance de plus en plus forte de la langue vis-à-vis des normes et de l’écrit, due à la presse, à la radio, à la télévision et surtout à l’instruction, et à une libération générale des usages. Si l’on y réfléchit, ces tendances contradictoires sont toutes deux à la fois nécessaires et bénéfiques. Une langue a besoin pour se maintenir de se renouveler, elle a également besoin d’être fixée.Il y a aussi l’influence de l’anglo-américain, dont le rôle croissant en tant que langue de communication internationale ne signifie pas pour autant un recul des langues nationales, qui peuvent et doivent coexister et prospérer.Les façons de parler le français sont enfin de plus en plus diversifiées, à travers toute la société et dans l’ensemble de la francophonie, DOM-TOM, Québec, Afrique… C’est une richesse et l’on ne peut que s’en réjouir. C’est avant tout sa capacité de création et de renouvellement qui est le meilleur gage de l’avenir de notre langue.